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3 mars 2010

La dernière interview de Mouloud Mammeri ,Par dans un journal marocain...

Cela fait 17 ans que Mouloud Mammeri nous a quittés : c’était un certain 25 février 1989. La mort était alors venue nous l’arracher alors que Tamazight avait encore besoin de lui. Ce 25 février 1989, son "destin" rencontre un arbre sur la route qui devait le mener d’Arif à la Kabylie, un arbre qui lui coupa ainsi la route et que sa voiture percute... Et c’est là qu’est mis fin à la vie de celui qui a joué l’un des rôles les plus important dans la construction de l’identité amazighe de Kabylie contemporaine.
Il était à Oujda dans le pays rifain pour participer à un colloque.

Lors de son court séjour à Oujda, un journaliste du quotidien "Le Matin du Sahara" l’a rencontré et a réalisé un entretien avec lui. Cet entretien qui paraît, comme on peut le deviner, après sa mort. C’était sa dernière interview.

Nous publions, ci-après, l’intégralité de cette interview. Une interview que notre ami Ali Harcherras, de Tizi n Imnayen, qui nous l’a fait parvenir, a bien voulu partager avec les lecteurs de Tamazgha.fr. Nous tenons à le remercier.

Mouloud MAMMERI : La mort l’attendait au tournant...

Très connu par le public maghrébin et étranger grâce à son troisième roman L’Opium et le bâton, mais aussi célèbre pour la pertinence de ses interventions dans les différents colloques organisés dans les quatre coins du monde, Mouloud Mammeri vient de nous quitter après 72 ans au service de la cause de la nation et de la culture maghrébine.
Mouloud nous a quittés en tant qu’être vivant mais son œuvre et la chaleur de ses sentiments envers ses lecteurs resteront pour toujours des phares scintillants qui nous rappelleront la candeur et la spécificité de cet homme original qui a su réussir un mélange subtile entre sa culture maghrébine et son savoir occidental.

Il est difficile d’évoquer dans un entretien des problèmes aussi compliqués que ceux du spécifique et de l’universel dans la littérature maghrébine d’expression française.
Mais l’utilité d’une telle tentative réside dans la rencontre de l’un des premiers romanciers maghrébins d’expression française, dont l’expérience personnelle est étroitement liée à ce problème. Car quand on l’a vécu soi-même, qu’on l’a palpé existentiellement comme l’a fait le défunt Mouloud Mammeri, cette expérience ne peut que subir le feu des polémistes.
Pou avoir une idée succincte sur cette expérience, nous avons réalisé le présent entretien deux jours avant la mort accidentelle de Mouloud Mammeri.


Le Matin du Sahara Magazine :

Mouloud MAMMERI : J’avoue que je suis très satisfait d’évoquer ce problème car j’avais l’habitude, quand j’étais jeune, de ne vivre ce problème qu’à partir du jugement des autres. C’était les autres qui nous jugeaient alors qu’on était le sujet et la matière. Pour les autres notre présence était transitoire, ludique, secondaire et exotique. On n’a jamais été les véritables sujets des problèmes posés.
Mon expérience personnelle avec ce sujet a commencé lorsque j’étais au lycée à Rabat. Dès lors j’étais très catastrophé par la tournure générale de l’enseignement que je recevais. Il est certes que j’avais de bons professeurs, mais il y avait toujours une perspective qui me gênait du moment que je me suis rendu compte qu’il était question de tout le monde sauf de nous, les Maghrébins. On était des étrangers dans l’enseignement qu’on recevait. Et quand on est jeune, cette expérience laisse une trace car elle a fini par créer en nous cette réaction de se sentir péjorativement jugé.

Le Matin du Sahara Magazine :


Mouloud MAMMERI : Quand j’étais en troisième, nous avions à expliquer un texte en latin, qui s’appelait La Guerre de Jugurtha ; et c’est alors que j’ai fait l’admiration de mon professeur. Car quand il nous donnait quinze lignes à préparer je lui rendais cinquante. Chose qui a poussé ce professeur à se demander le pourquoi de cela.
Ces questions se sont encore posées, quand on était passé de Salluste à Virgile car avec les textes de Virgile je ne faisais que le nombre de lignes qu’on me demandait.
Alors un matin, notre professeur de latin s’amène triomphant et s’adresse à la salle en ces termes : « J’ai enfin compris pourquoi Mammeri écrivait trois fois plus pour La Guerre de Jugurtha, car Jugurtha est l’ancêtre des Maghrébins ».
J’ai donné cet exemple pour faire saisir comment le problème des rapports entre la spécificité et l’universalité pouvait se poser pour les gens de ma génération.
Puisque vous parliez d’une expérience vécue, peut-on évoquer avec vous un cas précis et qui a un rapport étroit avec la problématique posée ?
Quels sont les rapports que peut prendre le problème de la spécificité et de l’universalité pour la littérature maghrébine d’expression française ?

Se définir par rapport aux autres


Sur le plan théorique, le problème se pose de la façon suivante : Etre soi, c’est être au monde, mais sous quel visage ! Et c’est là que réside le problème, car on est obligé de se définir par rapport à soi-même mais aussi par rapport aux autres. D’autant qu’on est pris dans une espèce de dilemme, car ou bien on est spécifique, mais le risque apparaît tout de suite car être spécifique c’est se définir par quoi on ne ressemble pas aux autres. C’est ainsi que le risque réapparaît de nouveau quand on va s’enfermer dans une espèce de définition de nous-mêmes, et qui peut aussi affirmer qu’on est incapable d’agir par notre spécificité. Cela condamne notre spécificité à un usage purement solipsiste et qui rate l’expérience des autres.
La deuxième solution consiste à être universel, et c’est le revers de la médaille car on risque de renoncer à soi sous le prétexte de ressembler aux autres.
Devant ce problème, je ne me présente pas en totale innocence car je l’ai vécu depuis longtemps sans pouvoir le résoudre dans une espèce de totale objectivité.

Le Matin du Sahara Magazine : Alors comment faire pour concilier les avantages de la spécificité avec ceux de l’universalité ? Est-ce que cela est possible ? Et quelles sont les conditions inévitables par lesquelles il faut passer pour espérer une conciliation possible ?

Mouloud MAMMERI : Je pense qu’on a affaire là à un vœu magnifique, mais comme tous les vœux il ne tient qu’à un poil. Les écrivains de ma génération savent le prix qu’on a payé pour réaliser cette irréalisable conciliation.
En simple logique, être spécifique, c’est être différent, mais dans la réalité on ne sait distinguer le spécifique de l’universel. Le premier aspect nous enferme dans notre ghetto culturel et le second nous fait semer à tous les vents.
Là, j’ouvre une parenthèse pour dire que la première bonne définition de l’universalité a été donnée par un écrivain maghrébin, qui avait pour nom Térence, il y a plus de vingt-deux siècles. Pour Térence, l’universalité est d’être un homme pour qui tout ce qui est humain n’est pas étranger. Donc, vous voyez que cette problématique a été évoquée depuis fort longtemps.
Il est certes que ce problème est compliqué car où faut-il chercher cette universalité ?
Pour des raisons historiques les écrivains de ma génération sont allés la chercher dans la culture chrétienne occidentale. C’est l’Occident qui a été pour nous l’universel à cause ou grâce à l’enseignement qu’on a reçu dans les écoles françaises. On a été acculé à définir l’universalité par la spécificité des autres. Donc, c’est un dilemme qui n’est pas logique et dans lequel on s’installait inconfortablement. Et toutes les réponses qui ont été données étaient à la fois personnelles et existentielles.

Un commencement absolu

Le Matin du Sahara Magazine :

Mouloud MAMMERI : Oui, cela est vrai, car cette littérature est apparue comme un commencement absolu. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas d’écrivains avant cette date, car il y en avait qui ont marqué par leur empreinte la littérature des aïeux, mais étant donné le contexte politico-social dans lequel on était inséré on ne pouvait offrir que la production littéraire qu’on a offerte.
Il a fallu absolument que les écrivains de ma génération s’insèrent dans la littérature française de façon à ce qu’ils disparaissent dans le décor. Et il leur a fallu deux propos délibérés. Renoncer à une espèce de spécificité pour rattraper une universalité qui était en réalité la spécificité des autres. Mais ce qui s’est passé historiquement a démontré que les valeurs prônées par les Occidentaux étaient aux dépens des Maghrébins.
Puis, par l’épreuve de vérité historique, ils ont changé d’option afin de ne plus tricher avec la vérité.


Le Matin du Sahara Magazine : "La Littérature maghrébine d’expression française" vous a qualifié d’écrivain contestataire, alors que d’autres critiques pensent autre chose. Quelle est votre réponse ?

Mouloud MAMMERI : Je pense que pour l’essentiel du point de vue de Jean Déjeux, il est vrai dans la mesure où je considère le rôle de l’écrivain et sa motivation pour défendre un certain nombre de valeurs comme des idéaux nobles, surtout quand ils sont écrasés et niés dans les faits. Je pense que les hommes sont libres de vivre comme ils veulent, et que tout régime qui nie leur liberté, qui nie leur honneur et qui tend à les contraindre doit être contesté. Et c’est le rôle de l’écrivain.
L’écrivain n’est pas un homme politique, il est plus que cela, et quand le politicien ne peut trancher pour d’autres considérations, l’écrivain est libre dans ses propos. Il doit toujours rappeler le caractère absolu d’un certain nombre de valeurs.

Après cette première partie qui était réservée au spécifique et à l’universel, passons à des thèmes d’ordre général. Jean Déjeux dans
Pensez-vous que la littérature des années cinquante, qui a brusquement apparu à la fois au Maroc, en Algérie et en Tunisie est un phénomène inouï pour les problèmes qui nous préoccupent pour le moment ?
Je ne fais pas la contestation pour la contestation

Cependant, il ne faut pas faire une formule « appuie bouton », car je ne fais pas la contestation pour la contestation.


Le Matin du Sahara Magazine :

Mouloud MAMMERI : Je pense que l’essentiel réside dans le fait d’avoir quelque chose à dire. La technique n’est qu’un moyen. Elle est un instrument pour faire passer quelque chose. Or, il ne faut pas que cet instrument devienne l’essentiel car l’essentiel est ce qu’on dit. Il faut aussi ne pas faire passer le souci de la contestation dans l’art pour le plaisir de la forme. Et si on n’a rien à dire dans cette forme, il est préférable de se taire.


Le Matin du Sahara Magazine :"La Bataille d’Alger" et "L’Opium et le bâton." A ce sujet, une question s’impose d’elle-même : Est-ce que Mammeri a reconnu son roman dans le film ?

Mouloud MAMMERI : Non ! A mon avis, ce sont là deux langages différents et deux discours différents.
Concernant le film, je n’ai pas accepté le scénario, pas seulement parce que je suis l’auteur du roman, mais il me semble que le film privilégiait une sorte de vision western. Il présentait les choses d’une façon manichéenne en classant les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. Or, cela ne correspond pas à la réalité et à la profondeur des choses.
Certainement, le film a eu un grand succès et a permis aux jeunes algériens de voir sur l’écran comment leurs parents ont vécu le joug colonial.
A part cela, je ne nie pas qu’on peut faire de très bons films historiques, car j’ai vu trois versions de Guerre et paix de Tolstoï dont deux étaient superbes. Mais ce n’est pas ce que Tolstoï a dit dans son roman Guerre et paix.



Le Matin du Sahara Magazine :


Mouloud MAMMERI : J’avoue que je ne cherche pas à me reconnaître dans ces romans, je suis bien content que les jeunes écrivains inventent une façon nouvelle pour s’exprimer et aient de nouvelles choses à dire. C’est leur temps et ils doivent refléter leur époque dans leurs écrits : A deux époques historiques différentes correspondent deux formes littéraires.
En plus, ces jeunes écrivains sont obligés de tenir compte de ce qui se passe en Europe surtout avec la vague du nouveau roman et des autres expériences. Ce qui prime, ce n’est pas la marque du verre mais son contenu.


Le Matin du Sahara Magazine :

Mouloud MAMMERI : Oui, je travaille actuellement sur un nouveau roman et une troisième pièce de théâtre, et j’espère continuer jusqu’à la fin de mes jours.

N.B. C’était le samedi 25 février, mais malheureusement la mort l’attendait 24 heures après, et ni le roman, ni la troisième pièce n’ont été achevés.


Le Matin du Sahara Magazine :

Mouloud MAMMERI : C’est le sujet qui m’a imposé cette forme théâtrale. Je suis certain que lorsque le thème évoque une lutte et une confrontation soit d’idées ou de personnages ou de drame, dans son sens le plus classique, il est préférable d’écrire une pièce de théâtre. Ces personnages, par leurs positions l’un par rapport à l’autre, font apparaître des tas de choses profondes avec peu de répliques. Dans un roman, on est obligé d’écrire plusieurs pages pour présenter une seule idée. C’est pour cela d’ailleurs que je pense que le théâtre est percutent. Il est défini par la concentration des personnages sur leurs propos et leurs sentiments.
Concernant la création théâtrale, je n’en ai fait que deux. Le Fœhn, qui est un vent terrible et qui rend un peu fou les gens. Le prétexte c’est la bataille d’Alger pendant la guerre de libération. Et puisque j’ai vécu cette expérience, cela m’a plus ou moins facilité la tâche et m’a motivé.
La deuxième pièce a pour nom Le Banquet et s’articule autour de la conquête du Mexique par les Espagnoles.
Avant cette conquête, les Mexicains avaient une civilisation extraordinaire, mais à cause de l’occupation espagnole, cette civilisation a été réduite à néant.
Je récapitule en disant que les deux pièces évoquent la lutte des hommes pour retrouver leur dignité bafouée par deux puissances coloniales.
Et pourquoi ce passage au théâtre ? Est-ce pour une raison d’efficacité ou pour des raisons esthétiques ?
Est-ce que vous êtes toujours en contact avec l’écriture romanesque et théâtrale ?
Vous êtes l’un des premiers à écrire en français au Maghreb. Est-ce que Mouloud Mammeri se reconnaît dans les nouveaux romans maghrébins ?
Changeons de genre et passons au cinéma. On sait que la guerre de la libération algérienne a été connue par les cinéphiles grâce à deux films :
Et que dites-vous de la contestation dans l’art ?

Le rendez-vous
Après avoir réalisé pour les lecteurs Magazine cet entretien, je lui ai demandé de me donner son stylo (celui que je tiens dans la main sur la photo) afin d’écrire son adresse. J’ai écrit le nom et le prénom, mais je n’ai pas pu continuer car il n’y avait plus d’encre dans le stylo.

Alors je lui ai dit : "Il n’y a plus d’encre dans votre stylo". Il m’a répondu : "Peut-être qu’il est mort !" Et ça a été un motif pour rire et échanger des anecdotes sur les stylos.
24 heures après... La mort tragique l’attendait au tournant ! Et durant son séjour à Oujda, il disait qu’il avait un rendez-vous, et qu’il ne pouvait pas rester parmi nous au-delà du samedi. Avec qui avait-il ce rendez-vous ? Il ne le dit pas.
C’était peut-être avec la mort !

Source : Le Matin du Sahara N° 6632 du 12 mars 1989
Le Matin du Sahara Magazine du 12 au 19 mars 1989 (Supplément)

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2 mars 2010

Tadsut di Tmurt Iceweyyen

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2 mars 2010

Mohia esquisses d'un portrait

Pourquoi un hommage à Mohia

Articles (Extraits)

Ayen bɣiɣ mači

Saïd Doumane

Ayen bɣiɣ mači d awal, mi tenniɣ yeddem-it wau Ce sont les deux premiers vers d’un poème qui, tel un hymne à la liberté, était déclamé par les étudiants qui suivaient le cours de berbère de Mouloud Mammeri au début des années 1970, à l’université d’Alger. J’avais appris l’ode, texte court et incisif de quatre strophes, avant de connaître l’auteur. Un jour, attendant M. Mammeri devant l’amphithéâtre de la faculté des lettres, un camarade me montra un individu resté à l’écart de notre groupe en pleine discussion : l’auteur de mon poème. Il me le nomma aussi, Abdellah Mohia. C’était vers la fin de l’année 1971.

Les présentations ne furent pas faites ce jour-là, je me contentai de dévisager, du coin de l’œil, l’étudiant-poète qu’on surnommera plus tard Mu
end U Yeya.

Je m’attendais à voir un visage buriné par les années, je découvris un jeune homme à peine sorti de l’adolescence mais d’apparence taciturne et introvertie. Son regard semblait se détacher de l’environnement immédiat et trahissait un profond bouillonnement intérieur.
Ayen bɣiɣ mači d awal
Ce, à quoi j’aspire, n’est pas parole en l’air!
Mi tenni
ɣ yeddem-it wau
Aussitôt dite, aussitôt emportée par le vent.

Chez les anciens, la parole valait son pesant d’or ; elle engageait le sujet parlant, prenait à témoin ses destinataires et se donnait corps par l’acte. Mais les temps ont changé. Vanité des mots… Alors, pourquoi dire, à quoi sert-il de parler ? Même si les mots sont ciselés, quand bien même le verbe est percutant. Le poète a-t-il toujours raison ?

De « Merde à Vauban » à « Ah ya ddin qessam ! »
Quelques notes au sujet de l’adaptation chez Mohia

Amar Ameziane

Bon nombre de témoignages de personnes qui ont fréquenté Mohia soulignent la singularité du personnage. Son œuvre peut encore mieux en témoigner. La littérature berbère n’a jamais connu d’auteur plus prolifique ! La profondeur de cette œuvre invite à une investigation sérieuse. Si jusqu’ici, l’orientation de la majorité des études littéraires berbères est restée de type sociologique (lien du texte littéraire avec la société), il est grand temps que des études textuelles prennent le relais et investissent le travail de création. C’est à ce prix-là que nous pourrons évaluer l’apport des auteurs comme Mohia à la littérature berbère.
Lorsqu’on écoute la version déclamée par Mohia du texte « Ah ya ddin qessam », ou chantée par Ferhat Imazighen ou par le groupe
Ideflawen, on ne lui soupçonne guère une quelconque origine étrangère. Pourtant, à la source, il s’agit bien d’un texte poétique écrit par le poète français Pierre Seghers (1906-1987) et rendu célèbre par Léo Ferré. C’est dire que Abdellah Mohia a très bien réussi son adaptation en kabyle. Qu’a-t-il fait pour réussir cette entreprise ? Dans les quelques pages qui vont suivre, nous nous proposons d’examiner quelques uns des procédés utilisés (...). La suite en vous abonnant...

Mohia, voix, mots et révolutions…

Mohand Lounaci

«Fais de toi ton œuvre posthume.»
Tristan Corbière, Ça.

Mohia disait souvent : « Ce qui compte ce n’est pas ce que l’on est, mais ce que l’on fait. Voilà ce qui reste d’un homme, tout ce que tu es disparaîtra un jour, mais ayen ara txedme s ufus-ik a d-iqqim i wiya, ce que tu feras de tes propres mains restera pour les autres. » Tel était le credo de Mohia. Aux gens qui se gargarisaient d’incantations, de mots vides de sens (berbère, berbèrisme, tamazgha, Massinissa, Jugurtha etc.), il disait de se recentrer sur l’essentiel, de se retrousser les manches, ne serait-ce que pour «bricoler». C’est seulement en suivant à la trace ce qu’il nous a laissé que nous pourrons comprendre qui était Mohia.

Voilà donc une œuvre inimitable car formée sur une personnalité à part, originale. Une oeuvre consubstantielle à son auteur :
« On n’est pas ce que l’on est, on est ce que l’on fait.» Mohia, malgré ce qu’il en dit dans son entretien à Tafsut, se revendique alors comme un poète au sens étymologique du terme, celui qui fait (du verbe ποιέω: faire en grec), celui qui est ce qu’il fait, un artisan, un démiurge de la parole, autre mot grec pour désigner le poète qui façonne le monde avec ses mots. Il a fait un choix d’existence, un choix de vie, celui de la «poéthique».

Ce que Mohia façonnait, ce qu’il “bricolait”, comme il aimait à le dire lui-même, ce qu’il maniait avec un brio qui restera longtemps inégalé, c’était les mots. Ces mots kabyles, ces mots de la tribu qui le fascinaient tant. Il les triturait, les décortiquait, les désossait, les recomposait, comme d’autres bricolent des moteurs. Et je crois qu’il y a là une proximité étymologique entre ce dernier terme et les mots eux-mêmes tels que les concevaient Mohia, des moteurs pour aller plus loin, non pas seulement pour ébranler ou émouvoir, mais pour mettre en mouvement les Kabyles, les amener à “rattraper leur retard”, à être à la hauteur des exigences de la modernité.

Dans son travail d’adaptation, il ne s’en cache d’ailleurs pas, il s’agissait pour lui d’expérimenter la capacité de la langue kabyle à exprimer des idées modernes, et à créer une nouvelle tradition littéraire qui sorte des ornières du passé, en passant par une sorte de subversion des moyens littéraires traditionnels. L’irrévérence, la critique, la dérision que Mohia distillait dans son oeuvre au fil de ses cassettes ne peuvent alors être perçues que comme des révolutions dans le paysage littéraire kabyle de la fin des années 70 et jusqu’à aujourd’hui
(...).
La suite en vous abonnant...
            

Source: Revue littéraire berbère

Lire aussi:

L’Algérie des années 1960-1970 était marquée par des discours grandiloquents ; les poètes de circonstance peuplaient les tribunes officielles, les chanteurs et autres artistes de cours se bousculaient dans les coulisses de la télévision d’Etat, les chevaliers de la plume se disputaient les formules à la gloire de la «révolution». On célébrait l’ordre nouveau, on louait à qui mieux mieux les maîtres des céans. Inépuisable était le lexique des laudateurs. Que de mots ! Que de paroles ! Que d’envolées ! Bien sûr, Mohia n’était pas de ceux-là. Que dis-je ? Il ne pouvait être de ceux-là. (...).  La suite en vous abonnant...

MohiaMohia n’a jamais aimé qu’on parle de lui et s’il avait fallu le suivre, toutes les choses qu’il a produites n’étaient que des “bêtises” qui n’avaient pas beaucoup d’intérêt et qui au mieux n’ont été faites que pour divertir et passer le temps.
Pourquoi alors évoquer un homme qui n’a jamais voulu être sous les feux de la rampe, même quand il faisait du théâtre, un créateur dont la modestie n’avait d’égale que la rigueur? Est-ce aller contre sa volonté que de parler de lui? que de montrer combien la qualité de ce qu’il a fait, malgré ce qu’il en dit, contraste singulièrement avec la production littéraire kabyle actuelle? que de vouloir faire connaître un homme et une oeuvre qui sont malheureusement peu connues des jeunes générations?

L’œuvre et ce qu’elle fait résonner (et pour Mohia on pourrait dire aussi raisonner) en nous doivent-ils disparaître avec l’homme?
D’illustres exemples dans l’histoire littéraire universelle montre que des œuvres d’une qualité exceptionnelle auraient disparu si on avait suivi les dernières volontés des auteurs. Virgile en est un exemple manifeste qui voulait que ses amis brûlent l’Enéide, chef d’œuvre de la littérature latine, parce qu’elle était inachevée.
Que Mohia nous pardonne donc cet hommage amplement mérité!

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